Le Conseil d’Etat va à l’encontre de l’avis de l’Auditorat et rejette la demande de suspension de l’arrêté ministériel du 17 avril 2020.

Stihl et la fédération sectorielle Fedagrim sont très déçus et envisagent de nouvelles démarches judiciaires.

Bruxelles, le 28 avril 2020 – Dans son jugement final, le Conseil d’Etat rejette la demande urgente de suspendre l’arrêté ministériel du 17 avril, en raison du manque de ‘ressources sérieuses’. Ce faisant, le Conseil d’Etat ignore l’avis de son premier Auditorat, qui a jugé quelques heures plus tôt que la revendication était effectivement recevable et fondée. Il est très inhabituel que le Conseil ne suive pas l’avis de son Auditorat.

Le Conseil conclut brièvement que la suspension en cas de nécessité extrêmement urgente n’est pas à l’ordre du jour parce qu’aucune des trois raisons invoquées n’est grave. Le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur et ne tient pas compte de l’admissibilité de la revendication et l’examen des intérêts mentionnés par l’Auditorat, qui estime qu’en cas de suspension, les désavantages seraient plus importants que les avantages. Pour Stihl Benelux et la fédération sectorielle Fedagrim, il s’agit d’une décision finale spéciale et particulièrement décevante, en tenant compte de l’avis précédent.

Le passage le plus frappant est celui dans lequel le Conseil d’Etat estime que l’arrêté ministériel du 17 avril 2020 tient effectivement un compte rendu raisonnable de la distinction faite entre les grands magasins de bricolage et les centres de jardinage d’une part, et d’autres magasins proposant des matériaux de construction et/ou de jardinage. D’après l’avis de l’Auditorat, il n’en était cependant pas du tout question. Le Premier Auditorat a donné raison à Stihl et Fedagrim en affirmant que l’arrêté ministériel violait le principe d’égalité et de non-discrimination et de liberté d’entreprise et de commerce en raison d’un manque total de responsabilité objective et raisonnable. Dans son jugement, le Conseil d’Etat voit cette justification. De cette manière, et en temps de crise Corona, le ministre dispose de cette manière du plus large pouvoir discrétionnaire. Selon le Conseil d’Etat, une violation du principe d’égalité n’est à l’ordre du jour que s’il y a une décision déraisonnable, et ce n’est pas le cas en l’espèce, d’après le Conseil. C’est ainsi que le Conseil déclare que la décision prise le 17 avril d’ouvrir les magasins de bricolage et les centres de jardinage avec la vision de rendre les mesures de confinement tenables et de soutenir ‘l’obligation de séjour à la maison’. Selon le Conseil d’Etat, c’est qualifié de raisonnable et le ministre a donc le droit de mettre le principe de l’égalité au second plan. Quant à savoir pourquoi cela devrait alors être en faveur des magasins de bricolage avec un large assortiment et des centres de jardinage, le Conseil d’Etat – qui n’est cependant pas autorisé à remplacer le gouvernement – ‘estime’ qu’il semble plus facile d’ouvrir les magasins de bricolage proposant un assortiment général de produits. Ces commerces proposent en effet souvent des parkings de grande taille, entraînent un flux moins important de nouveaux mouvements ou de déplacements, sont (en partie d’un point de vue des contrôles et du maintien de l’ordre) facilement localisables au niveau communal et pourraient raisonnablement être considérés comme disposant d’un agencement spatial approprié – compte tenu de l’expérience acquise avec les supermarchés – que les mesures de distanciation sociale peuvent être respectées dans la pratique. L’offre est plus importante, les parkings sont plus grands, les centres sont facilement localisables au sein d’une municipalité, plus contrôlables et les flux de déplacement sont moins importants’. Il s’agit d’une argumentation complètement subjective et, en outre, sans aucun lien avec la réalité, parce que les flux de déplacement vers les hypermarchés, les grands magasins de bricolage et les centres de jardinage sont beaucoup plus importants que les déplacements vers, par exemple, les distributeurs spécialisés de machines de jardin qui absorbent beaucoup mieux de petits flux et sont beaucoup mieux répartis au sein notre pays. Notre pays compte en effet 880 concessionnaires qui servent leurs clients suivant un petit rayon d’action. On note par contre une sérieuse différence d’implantation en ce qui concerne les grandes chaînes de magasins. Pour donner une idée: Brico dispose de 144 succursales en Belgique, Gamma propose 87 points de vente, Hubo 150, tandis que les centres de jardinage AVEVE disposent du plus grand nombre de points de vente, soit 250. Si le point de discussion est la distanciation sociale, comme le souligne le Conseil d’Etat, alors ces grands magasins sont les points les plus critiques, et non pas les concessionnaires pour les machines de jardin.

Quoi qu’il en soit, tout cela est justifié et raisonnable, selon le Conseil d’Etat, et la liberté de commerce et d’affaires peut donc également être sacrifiée à ce niveau. Toutefois, le Conseil d’Etat n’indique pas comment l’arrêté ministériel justifie une distinction entre, d’une part, l’activité bricolage avec un large éventail de produits et les centres de jardinage, et d’autre part les autres commerces et magasins qui n’appartiennent pas aux secteurs dits essentiels. En outre, le principe de diligence peut également être remis en question. Le Conseil d’Etat déclare expressément dans l’arrêt que ‘le conseil doit préparer sa décision de manière prudente’. ‘Cela’, précise le jugement, ‘implique que la décision doit être fondée sur des faits véritablement existants et concrets établis avec les soins requis. Entre autres choses, le gouvernement est tenu de procéder soigneusement à la préparation de la décision et d’examiner correctement les aspects factuels et juridiques du dossier afin qu’il puisse prendre des décisions éclairées.’ D’après la décision prise le 17 avril, l’énorme chaos et la confusion qui ont surgi le 18 avril à l’ouverture des magasins et le fait que le Conseil de sécurité du 24 avril a admis qu’une action discriminatoire avait été prise – la raison pour laquelle l’ouverture de tous les magasins, sans discernement, est envisagée le 11 mai – fait qu’on ne peut autrement considérer que ce principe de diligence n’a été appliqué d’aucune manière. Et pourtant, le Conseil d’Etat ne considère pas cela comme suffisant pour accepter la demande, qui a néanmoins été jugée recevable et justifiée par l’Auditorat. Comprenne qui pourra.